I. Le système de récompense

A. Fonctionnement


         Le système de récompense est situé dans le mésencéphale, au centre du cerveau. C’est un système complexe, essentiel pour les mammifères, mais de nombreuses autres espèces le possèdent, jusqu’à Caenorhabditis elegans, ver hermaphrodite d’environ 1mm de long. Il est indispensable, car il donne la motivation nécessaire à accomplir les actions essentielles à la survie de l’espèce, comme se nourrir ou se reproduire. Il correspond à 3 composantes psychologiques, la composante affective (la récompense en elle-même), la composante motivationnelle (la motivation à faire l’action pour obtenir la récompense) et la composante cognitive (l’apprentissage des comportements qui permettent la récompense).
     Plusieurs structures cérébrales composent le système de récompense : l’aire tegmentale ventrale, qui en temps normal intervient surtout dans la motivation et l’apprentissage, et contient de la dopamine, et le noyau accumbens, qui reçoit la dopamine de l’aire tegmentale ventrale, ainsi que par exemple l’amygdale, qui permet de déterminer si une expérience est plaisante. La dopamine (de formule brute C8H11NO2), qui est libérée par le système de récompense, est responsable du plaisir éprouvé lors d’un repas ou d’un rapport sexuel. C’est un neuromédiateur qui voyage de l’aire tegmentale ventrale au noyau accumbens, où elle se fixe sur les récepteurs dopaminergiques du noyau. C’est cette structure que les substances psychoactives perturbent.
        Un circuit analogue à celui de la récompense existe, c’est le circuit de la punition, qui prépare le corps aux situations déplaisantes, et implique le thalamus, l’hypothalamus, l’hippocampe ou encore l’amygdale. Ce circuit fonctionne grâce à l’acétylcholine, un neurotransmetteur, et stimule l’ACTH, l’hormone qui commande la libération d’adrénaline. Une stimulation du circuit de la punition inhibe le système de récompense, ce qui confirme l’observation que la peur peut chasser les plaisirs.


B. Perturbation du fonctionnement par les drogues


  La consommation de drogues perturbe le fonctionnement normal du système de récompense. En effet, la consommation de drogues stimule ce système, ce qui provoque la sensation de plaisir après avoir consommé des substances. De plus, les substances psychoactives perturbent le fonctionnement du système de récompense : la plupart des substances psychoactives modifient les réactions de zones du système de récompense au glutamate, ce qui contribue à la dépendance en renforçant les souvenirs liés à la consommation, même longtemps après les événements. Prenons l’exemple des opiacés à action rapide (héroïne, morphine, mépéridine). Si le corps ressent un sentiment de manque après la consommation d’une de ses substances, c’est parce qu’ils remplacent des analgésiques naturels libérés par le cerveau au cours des moments de stress : les endorphines, les enképhalines ou la dynorphine. En effet, la sécrétion des endorphines par exemple, qui défendent le corps contre la douleur, peut être déclenchée par un grand nombre de stimulis. Après avoir jouées leur rôle au niveau des récepteurs, elles sont rapidement détruites par des enzymes. Les endorphines peuvent procurer une sensation de plaisir. Ces drogues jouent alors le rôle de neurotransmetteur artificiel. Affluant jusqu’aux synapses du système limbique, ils donnent la même impression de plaisir que le cerveau lui-même pourrait procurer et prennent la place des endorphines.


         Dans le cas de la cocaïne, l’action n’est pas la même. La cocaïne bloque les sites de capture sur le neurone dopaminergique qui inhibe l’action de la dopamine en la reconduisant vers son terminal nerveux. Il y a donc une concentration de dopamine au niveau de la synapse. Les amphétamines provoquent également la libération de dopamine en modifiant ses quantités stockées à l’intérieur de la cellule. Les amphétamines produisent une euphorie similaire sur le système nerveux. Les effets de ces deux drogues se produisent principalement dans le nucleus (noyau) accumbens, une région du système limbique, où se trouve également un grand nombre de terminaisons axonales dopaminergiques.


Le cannabis agit sur les récepteurs cannabinoïdes, où se fixe naturellement l’anandamide. Comme avec les opiacés, une molécule chimique se lie avec un récepteur fait pour une molécule naturelle. L’anandamide aide à réguler l’humeur, l’appétit, la mémoire, les émotions ou la douleur. Le THC, principe actif du cannabis, perturbe toutes ces fonctions, ce qui explique certains effets secondaires du cannabis. Le THC se fixe sur certains récepteurs cannabinoïdes, les récepteurs CB1, et modifie le fonctionnement de plusieurs enzymes, dont l’AMP cyclique, dont l’activité est diminuée, ce qui diminue la production de la protéine kinase A, ce qui diminuera à terme l’excitabilité des neurones ; malgré cela la production de dopamine augmente. En effet les neurones dopaminergiques ne possèdent pas de récepteur CB1 mais des récepteurs au GABA, le cannabis lève l’inhibition au GABA, ce qui provoque une libération de dopamine et une sensation de plaisir.

L’alcool, quand à lui, a plusieurs effets sur le cerveau. Tout d’abord, il modifie les membranes des neurones et des différents canaux. De plus, il se lie aux récepteurs de molécules comme le GABA, l’acétylcholine, la sérotonine, et les récepteurs NMDA du glutamate. Le GABA inhibe l’activité des neurones en y introduisant des ions chlorure chargés négativement, et l’alcool renforce ce phénomène, en faisant entrer plus d’ions chlorure dans les neurones, ce qui diminue encore leur activité, expliquant l’effet insensibilisant de l’alcool. De plus, en présence d’alcool, le pouvoir excitant du glumtamate sur les récepteurs NDMA est diminué, favorisant encore cet effet « sédatif ». Cependant, une consommation chronique d’alcool inverse ces effets, ce qui explique l’excitation ressentie pendant un sevrage à l’alcool. Le processus qui fait que l’alcool augmente la libération de dopamine est mal connue, mais il impliquerait un affaiblissement de l’activité de l’enzyme détruisant la dopamine.



Dans le cas du tabac, la nicotine, son principe actif, imite l’effet de l’acétylcholine et se fixe sur les récepteurs nicotiniques. Quel que soit le neurotransmetteur, le récepteur nicotinique laisse passer les ions sodium pendant quelques millisecondes, ions qui vont exciter le neurone qui va libérer de la dopamine, puis le récepteur se désensibilise temporairement aux neurotransmetteurs. La consommation répétée de tabac augmente la durée de cette désensibilisation. La dépendance au tabac est due au fait que les récepteurs nicotiniques sont situés au cœur du système de récompense, entre l’aire tegmentale ventrale et le noyeau accumbens, ce qui fait que la nicotine permet de libérer d’importantes quantités de dopamine. Malgré cela, un fumeur chronique garde une quantité importante de dopamine dans son cerveau, ce qui fait que les récepteurs nicotiniques restent désactivés, d’où a tolérance et la diminution du plaisir ressenti par le fumeur. Après une période relativement brève (une nuit par exemple) sans fumer, les récepteurs retournent à leur état normal, ce qui perturbe les voies cholinergiques (transportant l’acétylcholine) du cerveau, aboutissant à une irritabilité et une agitation du fumeur, qui l’incite à fumer une autre cigarette. De plus, une substance non identifiée de la fumée du tabac inhibe la monoamide oxydase, enzyme censée recapturer la dopamine et la détruire. Cette inhibition a pour conséquence une augmentation de la concentration de dopamine, et une augmentation du plaisir ressenti.

C. Molécules et substances mises en cause


       De nombreuses substances différentes sont impliquées dans le système de récompense et dans sa modification par les psychoactifs. Par exemple, la dopamine est l’élément central du système de récompense, et c’est les modifications qui sont apportées à sa libération qui sont responsables de la dépendance ; mais d’autres molécules peuvent aussi être mises en cause, comme le glutamate, qui peut favoriser la dépendance ; en effet le glutamate est un neuromédiateur qui sert à faire la liaison entre les neurones pour déclencher une libération de dopamine, et est parfois utilisé comme exhausteur de goût, et se fixe sur les récepteurs NDMA. La consommation de drogues modifie l’effet du glutamate, ce qui renforce les souvenirs de consommation ou qui y sont liés, ce qui contribuent à la sensibilisation et à la dépendance. Deux protéines sont en cause et sont produites lorsque des substances psychoactives sont consommées : La CREB et la Delta FosB.

Formule topologique de la dopamine (crédit image : www.wikipédia.org)

La CREB est une protéine ubiquitaire (qui s’exprime dans toutes les cellules) est liée à la dépendance : elle se lie à l’EDN et active les gènes responsables de la dépendance libérant, par exemple, de la dynorphine, dont les effets dont semblables à ceux de l’opium, ce qui a pour conséquence une baisse de la production de dopamine, et un besoin croissant de consommer de la drogue. La CREB est éliminée de l’organisme quelques jours après la dernière prise, ce qui fait qu’elle n’explique pas le fait que certains malades rechutent plusieurs mois après leur dernière consommation.
C’est en effet la protéine Delta FosB qui est responsable de cette sensibilisation à la drogue : l’effet produit est le contraire de la CREB : la dynorphine est inhibée, et des protéines sont produites, qui sont impliquées dans la sensibilisation aux lieux, objets ou personnes associées à la prise de drogue, comme la CDK5, qui modifie les neurones du noyau accumbens de manière durable pour que la personne, en voyant ce qu’elle a associé à la prise de drogue, ressente de nouveau un besoin de prendre des substances psychoactives. Contrairement à la CREB, la Delta FosB n’est pas éliminée rapidement par l’organisme, et peut rester des semaines, voire des mois après la dernière prise, ce qui explique les rechutes d’anciens toxicomanes.
       D’autres molécules interviennent dans le système de récompense et sa perturbation par les drogues et psychoactifs, comme la monoamide oxydase, une enzyme censée recapturer la dopamine devenue inutile. Cette enzyme est inhibée par une composante de la fumée de cigarette, ce qui augmente le plaisir ressenti par le fumeur.
Le GABA est un neurotransmetteur qui fait rentrer des ions chlores chargés négativement dans les neurones, diminuant leur activité ; cet effet est renforcé par l’alcool, mais à terme les récepteurs au GABA sont inhibés par la boisson. De plus, les opiacés inhibent les récepteurs au GABA, augmentant la sensation de plaisir ressenti. De plus, certains récepteurs au GABA contrôlent les neurones à dopamine, et le THC contenu dans le cannabis va désinhiber ces neurones et augmenter la libération de dopamine.